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Littérature française - Page 71

  • Mystère

    marina znamensky,midi pile,littérature française,aphorismes,une lecture.com,blog,les inédits de znamensky,2018,culture,belgique« Je suis invitée à des vernissages où aucune œuvre n’est exposée. Je visite des cathédrales qui n’existent que dans la tête de leurs concepteurs. Je converse avec des gens qui ne me répondent qu’en pensées. J’écris des mots qu’on ne définit dans aucun dictionnaire. Qui est Elyot Vadko ? me demande Elyot Vadko. Un mystère me précède et me suit. »

    Marina Znamensky, Midi pile (25 août 2017)

     

    Spilliaert, Console avec livres et boîtes, personnage vu de dos (1907)

  • A midi pile

    Midi pile de Marina Znamensky, publié en 2018, est un livre original : et le contenu et l’objet sont inattendus. Commençons par celui-ci, pour une fois. Une couverture noire, un élastique pour le tenir fermé, à la manière des carnets moleskine, deux rubans signets rouges. L’image sur le bandeau blanc porte à confusion, et c’est heureux. J’y ai vu le pictogramme d’un bouton d’allumage avant de découvrir le titre, c’est aussi la position de l’aiguille d’une horloge à midi. A l’intérieur, la mise en page est particulière, je ne vous dis pas tout (une réalisation dans le cadre d’études graphiques, signale le colophon final).

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    « Reflets de l’âme et joutes de neurones ». En janvier 2015, Marina Znamensky a donné rendez-vous à midi pile tous les jours sur son blog www.unelecture.com et ce « livre papier » en résulte, né du passage « de la page virtuelle au feuillet tactile ». Semaine après semaine, du lundi au vendredi, une note brève. La première : « Je veux écrire de la matière vivante, me dicte mon corps. Du coup, je me fais un sang d’encre. » Une réflexion, une sensation – à chaque jour suffisent quelques mots, trois lignes ou moins, ou un peu plus. Une femme écrit ce qui lui passe par la tête, le cœur, le corps. Les mots sont à la fête, elle aime en jouer.

    « Qui dit tout ne dit rien. Qui ne dit rien dit tout. C’est vraiment difficile de faire la part des choses. » En lisant Midi pile, j’ai parfois pensé aux aphorismes de Scutenaire dans Mes inscriptions (un livre que je ne retrouve pas, hélas, dans ma bibliothèque). Certains de ces aphorismes font mouche, d’autres pas. C’est à lire en prenant son temps – une page par jour suffit quand elle nous parle ; on s’y arrête, on médite.

    Dans la même semaine (février 2015), deux façons de parler du matin illustrent la variété de l’exercice. Le mercredi : « J’en ai assez de me lever tôt, s’est exclamé le matin. » Le vendredi : « Je tente chaque matin de saisir une chose abstraite. Sans succès, bien entendu. J’ai beau mettre des gants et leur proposer un café, les choses abstraites refusent de parlotter. »

    Marina Znamensky prend certains jours de la hauteur, à d’autres elle est plus terre à terre. Ceci m’a fait penser à Sagesse de l’herbe d’Anne Le Maître (qui vient de publier Tous les jours l’été) : « Il existe plusieurs façons d’observer le monde. L’une d’elles se niche en bordure des champs cultivés. Dans les prairies fleuries et les jardins sauvages. Quand les coquelicots dansent, c’est la terre qui rougit. » Et aussi celui-ci, peut-être : « Le chat s’endort et avec lui, la pluie. »

    Les jeux de mots fertiles abondent : « J’ai oublié les mots pour décrire l’inoubliable. » Ou des pirouettes : « Nuit d’insomnie : impossible de digérer le croissant – de lune. » Des images pleines d’humour : « Ils se promenaient dans la ville avec de charmantes automobiles qui les tenaient en laisse. » Et des questions-réponses en tous genres :
    « La liberté ? Le jour est venu et le rêve est passé. »
    « Une maison ? C’est plein de tuiles sur la tête ! »
    « Vous dites ? Je médite. »

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    Photos WAW

    Des conseils sont à la première personne du pluriel : « De toutes les humeurs croisées en chemin, choisissons la bonne. » Ou encore « Cessons d’exister, on vivrait enfin ! » Le ton passe du léger au grave, de l’inquiétude au rire, comme dans la vie. J’ai acquiescé à une définition : « Chaque promenade est un voyage minuscule, une odyssée de l’instant. » Je me suis arrêtée longuement sur cette réflexion magnifique : « Tout ce qu’on perd s’est en réalité écarté de nous. »

    Qu’est-ce qu’une note ? me suis-je demandé en préparant celle-ci : une marque, un texte, une appréciation, un signe de musique, un message, un souvenir… Midi pile est le blog-notes d’une passagère du temps qui donne des ailes, elle, à l’instant. On y croise toutes sortes d’animaux, le zèbre assez souvent, graphique à souhait avec ses lignes en noir et blanc. Les rêves y ont une bonne part.

    On navigue ici entre bonheur de vivre et désespoir du peintre : « Les bleus du ciel et ceux de l’océan se mélangeaient. Le peintre s’acharnait sur la toile. Il voulait les retenir, il n’y parvenait pas. Les bleus le traversaient comme seul, un air de musique peut le faire et puis ils s’enfuyaient en rougissant. »

    Le site de Marina Znamensky, actuellement en transformation, renseigne d’autres titres, textes et haïkus, ainsi que des publications numériques. Je n’y ai pas trouvé d’information biographique. La Toile renseigne un autre titre à la tonalité fort différente. Le WAW, ou « White Art Walk » de Rixensart, Genval et Rosières, mentionne sa participation à ce parcours d’artistes dans le Brabant wallon, mais son site semble également indisponible en ce moment.

    « Les inédits de Znamensky » se sont fixé un cap, clairement indiqué au début du livre et sur le blog : « Un texte court pour un interlude de lecture ».

    * * *

    P.-S. Marina Znamensky m’apprend par courriel que la deuxième édition de Midi Pile est presque épuisée. Comme le blog « une lecture » va disparaître de la Toile dans quelques jours, pour se procurer ce livre, le mieux est de me contacter via T&P pour obtenir son adresse personnelle.
    (31/7/2018)

  • Ne pas dire

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    Ne pas dire plus qu’on ne voit

    plus qu’on ne sait plus qu’on ne sent

    c’est un métier très difficile

    car la fable est au bout du compte

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    Deux hommes face à même chose

    la décrivent tout autrement

    et combien d’hommes dans un homme ?

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    Georges Perros, Une vie ordinaire

  • Baie

    kahnweiler,juan gris,sa vie son oeuvre ses écrits,essai,littérature française,peinture,cubisme,culture« Dans la Baie de Bandol, le journal s’inscrit sur les montagnes, et le contour de la table se continue, au trait, sur les eaux de la baie. Les collines et le ciel pénètrent dans la chambre, sont montrés sur le mur. Le bateau à voile se pose sur la table. Sorte de « plan lyrique », la surface du tableau, trouée nulle part, réunit en elle les objets chantés par le peintre. »

    Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), Juan Gris, sa vie son œuvre ses écrits

    Juan Gris, La vue sur la baie, 1921, Paris, Musée national d’art moderne

  • Juan Gris 1887-1927

    C’est en ami que Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), « l’homme de l’art », comme l’appelle Pierre Assouline, a rédigé Juan Gris, sa vie, son œuvre, ses écrits, publié en 1946. Par cet essai, « le plus grand marchand de tableaux de son temps » rend hommage au peintre espagnol qu’il considère comme « le plus pur » des cubistes.

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    Juan Gris, Violon et verre, 1913, MNAM, Paris

    La vie de Juan Gris, il la raconte en commençant par une visite à Picasso au Bateau-Lavoir en 1908. Rue Ravignan, le jeune marchand remarque un très beau jeune homme qui peint devant une fenêtre ouverte. Picasso lui apprend qu’il s’appelle Juan Gris. Celui-ci vivra plus de quinze ans dans cet atelier très pauvre : « son œuvre a été peint entre vingt-trois et quarante ans, et je n’ai connu qu’un jeune homme qui fut, malgré sa gravité foncière, sociable, gai, sauf aux heures atroces où le cafard le terrassait. »

    Né à Madrid en 1887 dans une famille aisée, José Victoriano Gonzales était le treizième enfant sur quatorze, la plupart morts jeunes. Il dessinait depuis l’enfance et a dû batailler contre ses parents pour étudier la peinture. Il adopte le pseudonyme de Juan Gris avant d’arriver à Paris en 1906 : « Il en était content et il me semble bien qu’il y a accord entre ce nom et l’œuvre. Est-ce à cause de la couleur, est-ce à cause de ce que ce nom peut avoir de modeste ? Je ne saurais le dire. »

    « La gloire naissante de son compatriote Picasso avait amené Gris au 13, rue Ravignan. » Pour gagner sa vie, il envoie des dessins à des journaux illustrés. Quatre ans plus tard, il commence à montrer ses toiles. Durant l’hiver 1912, Kahnweiler, convaincu de la grande valeur de l’artiste, convient avec lui d’acheter toute sa production, qu’il accroche en permanence dans sa galerie, rue Vignon. Parmi les premiers acheteurs, Gertrude Stein, Léonce Rosenberg, le sculpteur américain Brenner.

    Soulagé des soucis matériels, Juan Gris peut aller passer l’été à Céret, où Picasso et Braque ont déjà rejoint Manolo Hugué, artiste classiciste et « méditerranéen », qui y vit toute l’année. Gris le choque en « soutenant la nécessité d’un aspect nouveau comme conséquence inéluctable d’un état d’esprit nouveau ». Gris travaille bien, les discussions sur l’art soutiennent sa peinture et le font opter pour « une plus grande simplicité, une clarté accrue ». Kahnweiler aime ce garçon « modeste, mais intransigeant » et l’admire.

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    Juan Gris, Paysage à Céret, 1913, Moderna Museet, Stockolm

    En août 1914, Gris lui écrit de Collioure où il s’est installé juste avant que la guerre n’éclate, inquiet du sort de ses amis artistes ou poètes. Il voit souvent Matisse, comme lui enclin à réfléchir sur son art et à en parler. Mais sa situation matérielle l’oblige à rentrer à Paris. S’il peut travailler, c’est grâce à Léonce Rosenberg qui « assuma pendant la guerre – et ce sera son honneur durable – la tâche que [il / Kahnweiler] ne pouvai[t] plus remplir : la défense du cubisme. »

    A Paris, Juan Gris a pour voisins Max Jacob et aussi Reverdy, devenu un ami intime. Sa correspondance avec Kahnweiler reprend en 1919 : il y fait l’éloge de Reverdy, de Braque ou de Picasso, exprime des réserves sur Seurat ou Léger, s’étonne du succès de Metzinger. Gertrude Stein l’a touché en considérant un de ses tableaux comme le meilleur du Salon.

    Une pleurésie marque le début de ses ennuis de santé. Après une hospitalisation, il s’installe avec sa femme Josette à Bandol – « Quel beau soleil, mais quel pays sinistre ! » La joie de vivre revient : il a appris à danser, ils vont au bal tous les dimanches soir. C’est là-bas que Diaghilev le contacte pour un décor et des costumes de ballet, un travail qui va le fatiguer énormément.

    L’épouse de Kahnweiler lui trouve un petit appartement à Boulogne-sur-Seine, dans la rue où ils habitent. Gris rencontre leurs amis, les habitués du dimanche. Le reste du temps, il ne voit pas grand monde. Josette et lui passent souvent la soirée chez les Kahnweiler. « Cher Jean ! », écrit-il ; c’est ainsi que le peintre préférait qu’on l’appelle, par amour de tout ce qui était français.

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    Juan Gris, Les cerises, 1915, Guggenheim Museum, New York (Collection Thannhauser)

    Juan Gris lisait beaucoup : Gongora, Valle-Inclán, Rubén Darío ; Mallarmé, Reverdy, Radiguet… L’hiver 1925-1926, il s’installe à Toulon où il se plaît et travaille bien. En février, il commence à avoir de la température, des crachements de sang, puis de l’asthme. Il souffrira beaucoup, avant de mourir d’une crise d’urémie le 11 mai 1927, à quarante ans.

    La seconde partie de l’essai explique les principes du cubisme, son évolution, les chemins différents empruntés par les artistes que Kahnweiler a côtoyés de près, l’œuvre de Juan Gris surtout, du cubisme analytique au cubisme synthétique. Les écrits du peintre constituent la dernière partie : notices, réponses, notes sur la peinture. Avec une vingtaine d’œuvres illustrées, l’essai se révèle au total une formidable exploration de l’œuvre d’un peintre que Kahnweiler situe ainsi : « Je vois Gris en face de Picasso comme Raphaël en face de Michel-Ange. »